Aveuglement, condescendance, impuissance… Au lendemain de l’élection de Donald Trump, une tempête globalisante s’est levée emportant indistinctement médias, journalistes et plateformes sociales.
Si aucune réponse simple ni définitive ne peut donner un sens satisfaisant, gageons que cette crise a permis une prise de conscience globale et publique: les règles de la distribution et de la circulation de l’information ont changé, profondément, radicalement et c’est désormais Facebook qui dicte sa loi, volontairement ou non. Quant à la réception de l’information, oui, l’internaute a repris la main et fait des choix, il privilégie certains filtres et délaisse les professionnels de l’actu. C’est une réalité et chaque journaliste doit la prendre en compte.
Hier encore, il aurait semblé totalement saugrenu d’imaginer que les articles des médias traditionnels puissent être totalement invisibles d’une bonne partie des timelines des 45% d’Américains qui s’informent principalement sur Facebook. Mais est-ce pour autant si surprenant? Dans combien de foyers américains trouverions-nous un exemplaire du New York Times ou de USA Today trônant en bonne place sur la table basse?
Hier encore, il aurait été inconcevable de croire que, pendant une campagne électorale américaine, l’engagement autour des 20 articles les plus populaires des sites dits de « réinformation » aurait dépassé celui des 20 articles les plus consultés sur les sites d’information traditionnels.
"Post-vérité" et "bulle algorithmique"
Difficile aussi d’admettre que ces médias partisans ou vénaux puissent attirer une audience si vaste en déguisant du militantisme en pseudo journalisme. Incroyable enfin de constater que saturer le web et des réseaux sociaux de mensonges et de contre-vérités puissent rendre inaudibles les factcheckers les plus aguerris.
Bienvenue dans "l’ère de la post-vérité" et des "bulles algorithmiques", nous disent certains experts. Mais résumer cette situation à un simple biais algorithmique coupable de créer une bulle sociale et informationnelle artificielle, reviendrait à doublement se voiler la face.
D’une part, parce qu’il s’agirait de nier les choix conscients faits par les internautes lorsqu’ils likent, partagent et choisissent leurs amis. D’autre part, ce serait nier la défiance envers des médias souvent jugés partisans, complices des élites et déconnectés des réalités et de l’opinion. Que ce soit vrai, faux, exagéré ou fantasmé, c’est une perception répandue et nous devons la prendre au sérieux.
Non, la sphère médiatique n’a pas l’influence qu’elle s’attribue. Oui, dans un contexte de montée des populismes, elle fait même office de repoussoir et d’épouvantail. Oui, penser contre les médias est devenu une preuve d’anticonformisme pour les candidats "anti-système".
La raison contre la contagion émotionnelle
A l’approche de la présidentielle française, ne faisons pas l’erreur de prétendre être des arbitres de vérités. Avançons avec des faits, travaillés et recoupés, sans pour autant céder à l’universalisme, perçu comme de la condescendance ou une forme de déconnexion des réalités.
Prenons garde dans le même mouvement à ne pas céder à la tentation démagogique, réaffirmons le primat de la raison contre la contagion émotionnelle.
Conscients de nos faiblesses et d’un monde numérique qui rebat les cartes de la diffusion de l’information, tentons de retrouver une place au centre du débat démocratique.
Après le choc de la prise de conscience, la sphère médiatique doit entamer un double chantier:
- Reprendre la bataille de la confiance, par une réflexion collective et en tentant de renouer le dialogue avec cette audience qui ne se reconnaît plus dans la société dépeinte dans les grands médias.
- Affûter ses armes numériques pour investir massivement les réseaux sociaux, sans pour autant renoncer à l’exigence journalistique et à l’indispensable factchecking. Les réseaux sociaux ne sont plus de simples ponts entre l’audience et les sites d’infos, ce sont des médias à part entière et ils doivent être abordés comme tels.
Comprendre l’environnement numérique, en maîtriser les codes et les outils pour rester connecté à une société en pleine évolution, voilà l’une des réponses à un défi éminemment complexe et qui dépasse largement la seule responsabilité des médias. Travaillons à rester ouverts, pour être en mesure, quand cela est nécessaire, de faire éclater les bulles partisanes, politiques, économiques, culturelles ou algorithmiques.
C’est la philosophie adoptée par l’équipe de Médiacadémie. A notre échelle, nous essayons de vous fournir des repères et des outils pour embrasser cette grande transformation numérique afin de construire un journalisme audible, de qualité et qui respecte l’info et son lecteur, quel que soit le support.
Liens:
- Sur Facebook, le mensonge est plus populaire que la vérité – Le Temps
- La “post-vérité”, “lémédia”, le fact-checking et Donald Trump - Medium
- Et si on arrêtait avec les bulles de filtre? - L'image sociale
- Facebook est-il un danger pour la démocratie? - Le Monde
- Google et Facebook s'attaquent aux faux sites d'actualités – L’Echo
- Une extension pour repérer les fausses informations qui circulent en ligne - Le Monde
- Sur Facebook: "Si vous êtes de gauche, ajoutez des gens de droite" - Rue89
- Facebook, faiseur de rois de l’élection américaine? - Le Monde
- "Faire passer les classes populaires pour fascisées est très pratique" - Le Point
- This Analysis Shows How Fake Election News Stories Outperformed Real News On Facebook - Buzzfeed