C’est simple : AJ+, chaîne 100% numérique du groupe Al-Jazeera Media Network, ne se préoccupe pas de son site et mise tout sur sa stratégie de dissémination sur les réseaux sociaux. L’histoire de ce média agile peut en dire long sur l’enjeu aux yeux des actionnaires du groupe qatari : il s’agit moins de repenser les canaux “tout-info” irriguant satellites et câbles de tous horizons, mais bien plutôt de fabriquer des formats adaptés aux usages des plus jeunes. D’ailleurs, la petite histoire veut que la chaîne AJ+ soit née dans le sillage des “printemps arabes”, et élaborée par quelques sbires de l'équipe éditoriale chargée des réseaux sociaux...
Aujourd’hui, l’équation [(mobiles + réseaux sociaux) = AJ+] est donc plus que jamais d’actualité. Celle-ci est facilitée par l’absence de problèmes de trésorerie de court terme (et c’est d’ailleurs l’une des limites du modèle puisqu’il n’existe pas, pour l’heure, de monétisation de ces audiences). 2015 a été une année plutôt convaincante en termes de performance sur les réseaux sociaux : sur Facebook, les vidéos produites par AJ+ ont été vues 2,2 milliards de fois. Une précision : près de la moitié des vues concernent des visites d’une trentaine de secondes.
Facebook, avant tout
Facebook est d’ailleurs au coeur de la diffusion d’AJ+. Quand bien même AJ+ se targue d’avoir 172 000 abonnés sur Twitter, 59 000 sur Instagram, près de 175 000 sur YouTube, voire 9 600 sur Medium, force est de constater que ces résultats n’ont rien à voir avec les performances de la rédaction sur Facebook. D'ailleurs, c'est moins par le nombre d'abonnés qu'AJ+ impressionne (3 millions), mais plutôt avec l'engagement des internautes ("likes", commentaires et "partages" étant légion).
Au fond, AJ+ est une rédaction pensée et produite pour Facebook : les formats proposés aux internautes n’ont rien à voir avec la grammaire télévisuelle habituelle. Absence de commentaire en voix off, montage efficace, sous-titrage (pour la lecture mobile sans son) ou surimpression de texte pour renforcer les déclarations des personnes interviewées ou des données de contexte : la vidéo est chez Aj+ un pur produit mobile. D’ailleurs, il est rare que la chaîne Al-Jazeera reprenne à l’antenne les sujets diffusés sur les réseaux d’AJ+.
Une grammaire AJ+ (qui fait école)
La durée des vidéos d'AJ+ fait le grand écart : le temps réel (ou le direct) se traduit par des vidéos allant de 30 secondes à 3 minutes quand se multiplient, en parallèle, des formats explicatifs avec visuels forts et infographies animées, des mises en contexte reposant sur le recours systématique aux textes, voire des traitements répétés et liés de thématiques précises (vie estudiantine aux USA, lutte contre le terrorisme, phénomènes de mode).
Enfin, AJ+, c’est un ton, un rythme, et un tour du monde permanent. Peu ou pas de breaking news, mais avant tout de la vidéo à la demande. C’est un journalisme de stock distribué directement là où les usages se déplacent, et non un flux satellitaire ininterrompu.
Avec 70 personnes à San Francisco pour produire une cinquantaine de vidéos par semaine, plus une mutualisation de moyens pour collecter des sujets tournés pour AJ+ par les correspondants des bureaux de la maison mère (situés un peu partout dans le monde), cette petite équipe semble presque faire école. En témoignent tous ces médias qui se mettent, ces derniers mois, à produire ce genre de vidéos : à iTélé ou à Nice-Matin, c'est presque un nouveau type de récit journalistique qui émerge.
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